Traiter les eaux usées : le privilège des pays riches

Tirer la chasse d’eau est un geste quotidien qui demande peu de réflexion. Pourtant, il n’est pas donné à tout le monde sur la planète : 892 millions de personnes font encore leurs besoins en plein air. Collecter et traiter les eaux usées, pour des enjeux de santé humaine et environnementaux, est un luxe rendu possible en France dans les années 1960 grâce aux 20 000 stations d’épuration (STEP). Immersion dans les tuyaux qui mènent à la STEP de Bischwiller et environs pour un voyage en eaux rendues moins troubles.

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Les eaux usées passent d’un bassin à l’autre pour subir l’action des bactéries. / ©Solann Battin

Si la chasse d’eau représente 20% du volume d’eaux usées de la maison, laver la vaisselle, le linge et prendre un bain constituent l’autre partie. Lorsque le réseau est unitaire -seuls les quartiers récents ont un réseau séparatif- l’eau de pluie vient s’ajouter à ce décompte. Selon Thomas Roemer, responsable du pôle voirie-réseaux à la communauté d’agglomération de Haguenau, « 99% des habitations sont raccordées. Celles qui ne le sont pas sont par exemple trop éloignées et traitent les eaux sur leur terrain. La STEP de Bischwiller s’occupe des eaux usées de 23 000 habitants, pour une capacité de 35 000 ». Chacun des six villages de la communauté de communes de Bischwiller (CCB) dispose d’une station de pompage qui envoie les eaux usées à la STEP à travers 130 km de canalisations souterraines, ainsi que d’un bassin d’orage ou d’un déversoir pour réguler l’arrivée d’une grande quantité d’eau de pluie. Les tuyaux aboutissent au poste de relevage, où une odeur pestilentielle envahit l’air, malgré la dilution importante. Matthieu Troesch, le technicien d’exploitation, explique: « La matière a été broyée pendant le transport, et les gros déchets sont retenus dans le dégrilleur, principalement des lingettes (voir encadré), et parfois une carte d’identité ou un billet de 20€ ».

2 millions de m3 d’eaux usées en 2020

Le jus brunâtre se déverse dans le désableur-dégraisseur, un bassin qui fait remonter la graisse grâce à de fines bulles d’air et décanter le sable, provenant des eaux de chaussée. À ce niveau, « un comptage et des analyses de pollution sont réalisés. L’été, on est à 3 000 m3 par jour, et le premier samedi de décembre, pluvieux, à 13 000 m3 ». En 2020, cela représentait quasiment 2 millions de m3 en entrée selon les relevés de Thomas Roemer. Les 100 T annuelles de sable, additionné de mégots, grains de maïs, cotons-tiges, feuilles mortes, chewing-gums, seront en partie réutilisées comme remblai, et le reste traité comme ordure ménagère.Viennent ensuite les deux énormes bassins de traitement biologique, de 6 m de profondeur, où l’eau usée subit l’action des bactéries : « Ce sont des bassins d’aération où vivent les bactéries injectées il y a 22 ans, à l’ouverture de la station. Elles se nourrissent des nitrates, du carbone, du phosphore et de l’ammonium de nos rejets humains », détaille Matthieu. À la surface, des amas de bactéries sont agités en permanence par de puissants mélangeurs, qui envoient l’eau dans les demi-lunes des bassins au fur et à mesure de son assainissement.

Le technicien de la station d’épuration Matthieu Troesch devant les boues qui seront épandues dans les champs. ©SB

L’eau traitée est plus propre que celle de la rivière

Enfin, vient le clarificateur, où les eaux sont plus calmes puisqu’il s’agit de conduire au centre les bactéries pour les réinjecter, de décanter les boues, et sur le pourtour, d’admirer une eau limpide qui se déverse dans les canaux. « C’est l’eau claire traitée, qui est rejetée dans la Moder. Elle n’est pas potable, mais plus propre que celle de la rivière ! » sourit le technicien. Au final, une goutte d’eau usée aura passé 24h dans la station d’épuration avant de retourner dans la nature. Le technicien a également un petit laboratoire à sa disposition à côté de la salle de supervision, pour des analyses quotidiennes du traitement. S’il est secondé par Christophe pour la maintenance de tous les sites de la CCB, Matthieu définit ses journées comme « très variées et touche-à-tout ». Car son rôle ne s’arrête pas là : « Il faut maintenant traiter la filière boues et s’assurer qu’il n’y a pas trop de bactéries non plus ». À l’intérieur du bâtiment se trouve une salle d’égouttage, qui d’une part, filtre les bactéries, et d’autre part, presse les boues. « D’un produit liquide, on obtient des morceaux déshydratés et chaulés, c’est-à-dire que la chaux hygiénise les boues, en tuant bactéries et virus » y compris le coronavirus.

Le bassin clarificateur, où sont séparées bactéries, boues, et eau claire. ©SB

Les boues sont épandues ou compostées

Un grand hall extérieur permet de stocker cette matière qui ressemble à du terreau, et qui sera épandue pour moitié par les agriculteurs de la région. « C’est un bon engrais, mais limité en volume. L’autre moitié entre donc dans une filière compostage avec des déchets verts. » Six analyses par an sont menées sur les boues, « afin de vérifier le taux de métaux lourds ou de médicaments, précise Thomas Roemer. Pour l’instant, on est largement dans les normes, alors on les recherche, mais on ne les traite pas. C’est l’enjeu des prochaines années ».


Les lingettes, triste révolution ménagère

« Même lorsqu’il est écrit “biodégrables” sur le paquet de lingettes, ce n’est pas au bout de trois jours ! » s’insurge le technicien d’exploitation en soulevant le capot du dégrilleur.

À l’intérieur, des dizaines de lingettes désormais grises et informes s’entortillent avec quelques serviettes hygiéniques ou des masques. « Nous remplissons deux poubelles de 600 L par semaine avec les gros déchets. Les lingettes bouchent les pompes, que ce soit chez le particulier ou dans le réseau d’assainissement, c’est un gros problème pour nous. »

En ces temps d’épidémies où la désinfection est nécessaire, le choix des consommateurs se porte souvent sur la facilité d’emploi des lingettes, bien que leur coût soit 16 fois plus élevé et qu’elles génèrent 20 fois plus de déchets non recyclables qu’un produit nettoyant et une éponge (selon le site consoglobe.com). S’il est certain que les lingettes ne se jettent pas dans les toilettes mais dans la poubelle, le mieux est encore de s’en passer.

Le dégrilleur collecte malheureusement beaucoup de lingettes qui grippent les systèmes. ©SB