Tempête

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Elle avait une drôle de tête ma voisine l’autre jour au marché entre les fruits de saison et les bocaux de cornichons. J’ai pensé que le recul des États-Unis sur l’IVG était la cause de son humeur de chien méchant, ou alors que les conflits mondiaux, un courrier de mise en demeure d’un institut qu’elle ne connaît pas, la crise climatique de plus en plus visible, étaient les facteurs de son aigreur. Après, j’ai pensé qu’elle avait regardé le lancement de BFM Alsace et qu’elle avait remarqué qu’il y avait beaucoup d’hommes et de femmes politiques à l’antenne dès le premier jour, ou qu’elle avait lu un article sur les 2,37 milliards de personnes en situation d’insécurité alimentaire dans le monde, ou alors qu’elle avait pris connaissance de ce chiffre de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) qui raconte que 10% des cancers en Europe sont liés à la pollution, si l’on ajoute tout le reste, ça fait peu de chance de passer entre les grêlons. Mais ce n’était pas ça. Elle n’a pas raté son bac puisqu’elle n’a plus l’âge de le passer depuis longtemps, elle n’a pas chopé le covid (ça, c’est notre voisin), elle est bien invitée au bal des pompiers (j’ai vérifié), a priori tout roule pour elle, mais en fait, non. Le truc, c’est qu’elle a besoin de congés. Elle n’en peut plus ma voisine, elle est sur la jante, elle veut couper ses réseaux sociaux dans ce monde qui nous afflige, elle veut du sentiment, elle a soif d’idéal, elle veut regarder les étoiles au clair de lune. Elle veut décrocher, redevenir elle-même. Pour lui remonter le moral, dans ce plus beau marché d’Alsace qui aurait pu servir de cadre au lancement d’une chaîne régionale, j’ai acheté des cerises et un petit chèvre frais à grignoter à deux, mais quand elle est comme ça ma voisine, il ne faut pas la chatouiller avec des sujets terre-à-terre ; à ce moment-là sous son crâne, c’est la tempête du siècle. Le calme, le soleil des vacances, son maillot de bain et sa serviette de plage sont encore loin et quelque chose me dit qu’elle n’est pas la seule à les espérer, cette année plus que jamais, histoire de retrouver le sourire.