Strasbourg, 1 an après – Rencontre avec Claire Audhuy

Claire Audhuy est auteure et metteure en scène. Proche de Bartek, le premier à tomber sous les balles du terroriste de Strasbourg, elle signe L’hiver dure 90 jours (chez Médiapop Éditions) un texte fait d’épigrammes de quelques lignes en hommage à « un compagnon de lutte », un objet de littérature rare et vital.

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« Strasbourg, 11 décembre 2018. Un homme en fuite, le ciel aux hélicoptères et des corps à terre. On a tous envie, on a tous besoin, de savoir que tu n’es pas mort comme ça ».

Vous avez beaucoup communiqué sur Facebook pendant que Bartek était à l’hôpital : « Tiens le coup, on a besoin de toi, on a besoin d’humains gentils comme toi… On poursuit ce que tu as entamé, aimer l’autre ». Pourquoi avez-vous eu besoin d’écrire des textes après l’attentat et la mort de votre ami ?

Je n’arrivais pas à faire autre chose. Je n’ai fait qu’écrire du soir au matin, du 11 décembre au 31 janvier, le jour où j’ai rêvé de lui.
Je n’avais pas envie de me réveiller du rêve. C’était bon de le voir. Me réveiller, c’était prendre conscience que cela appartenait au passé, que ce n’était plus possible.

Pourquoi ce choix des textes courts ?

Parce que le souffle est court dans ces moments-là, et puis parce que la poésie aide, réconforte, fait du bien. Je lis beaucoup de haïkus, des épigrammes ou des aphorismes, ce sont des formes qui me plaisent.

Ce livre est une façon de faire encore exister Bartek ?

Oui. C’est lui raconter, lui dire ce dont il n’aura pas eu conscience, sa maman si forte et si belle, ses amis tellement puissants et chaleureux. Ce que je retiens, c’est cette grappe, ce groupe d’amis accroché aux urgences pendant des heures et des jours, toute la semaine… Chacun aurait pu être dans son truc, effondré. Nous l’étions, mais tous ensemble. Il y avait quelque chose d’assez beau de se tenir les coudes comme ça. J’ai tissé des amitiés là-bas. Je m’étais évanouie en voyant Bartek, et je me suis réveillée sous les gifles d’une jeune femme qui m’a demandé mon prénom.Quand je lui ai donné, elle m’a dit « ah c’est génial, Bartek voulait qu’on se rencontre depuis des mois. Enchantée je suis He ».
Et puis Bartek, droit et beau, et attentif aux autres…

C’était un compagnon de lutte ?

Il était très attentif à la question de la minorité, de la persécution, de la Shoah hier et de l’antisémitisme aujourd’hui, il était très attentif aux questions de racisme, et c’est quelque chose qui nous liait, car j’ai beaucoup travaillé sur le sujet. La dernière fois que je l’ai vu, c’était lors d’une manifestation contre le GCO de Strasbourg. On avait fait un bouquin avec lui en 2011,
« Penser et parler l’Europe », c’était 25 jeunes qui regardaient l’Europe aujourd’hui. En 2014 avec mon compagnon, je suis partie faire un tour d’Europe en Combi-Volkswagen, Bartek avait des contacts partout, on avait juste à prononcer son nom et la porte s’ouvrait.

Et puis, il y a eu cet hommage, début février, à l’église Saint-Thomas de Strasbourg, avec ses amis, les associations, ceux qui s’étaient réunis aux urgences.

On a commencé à 15h et ça s’est terminé à deux heures du matin. En fait, on voulait faire un truc qui ressemblait à notre pote, quelque chose de chaleureux, d’ouvert à tous. Nous avons proposé aux associations qui étaient orphelines de l’un de leurs membres de venir et de parler de leurs actions. Il y avait aussi bien l’association Yiddishe de Strasbourg que la Danse flamenco, la chorale universitaire, ou Alsace nature. C’était une journée autour de la parole et du débat.

Un mot sur la maman de Bartek…

Bartek lui ressemblait. Elle a écrit un mot de compassion aux parents de Chérif Chekatt, « À ceux qui ont aussi perdu un fils… »,  ça, c’est la ligne de conduite à suivre.