Réseaux sociaux : une fragilité narcissique au service des puissants ?

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Au moment où une faille de sécurité a permis à des pirates de prendre le contrôle total de cinq millions de comptes Facebook en Europe avec messages privés, photos, pages aimées, liste d’amis, et tout le toutim, une petite lumière rouge s’est allumée en chacun de nous pendant quelques heures.

On s’est bien demandé si toute cette histoire de réseaux sociaux n’allait pas nous rendre complètement dinguos, et puis on a oublié, on a repris nos téléphones en main, comme si de rien n’était et les heures ont défilé, ces heures qui nous enferment dans des bulles de pensée, un bain chaud et anesthésique que nous partageons avec nos amis virtuels, un spa familial, un bouillon qui n’est pas de culture avec des êtres formidables et de notre avis la plupart du temps, ce qui ne nous incitent pas à la réflexion.

Les conséquences à long terme de l’utilisation continuelle des réseaux sociaux sont peu connues, mais « la résistance s’organise ».

Dans un premier temps, il est bon de rappeler que les réseaux sociaux, même s’ils sont gratuits, sont proposés par des entreprises dans un but mercantile. Ce sont des gens qui veulent gagner de l’argent, beaucoup d’argent et qui sont prêts à tout pour y arriver ; d’inventions en subtilités, tout est fait pour nous attirer l’œil sans développer notre pensée. Chaque utilisateur est un client de ces entreprises. Leur but est de captiver au maximum l’attention des internautes pour leur faire passer le plus de temps possible sur leur site, car, plus le réseau est actif, plus il a de chance de « recruter » de nouveaux utilisateurs, qui vont à leur tour être actifs et rendre le réseau toujours plus attractif.

Plus vous passez de temps sur un réseau, plus vous enrichissez le propriétaire, plus vous voyez de publicité, et meilleurs sont les revenus pour lui. Des alertes concernant la collecte et l’emploi des données privées, les effets d’une utilisation excessive, les méthodes controversées utilisées par les réseaux sociaux pour séduire ou ensorceler les internautes commencent à voir le jour. Elles expliquent le phénomène et ses dangers, souvent mal estimés du grand public.

Les réseaux sociaux et l’apparition des smartphones, leurs parfaits compléments, ont-ils bouleversé nos rapports à l’autre ? Ont-ils changé le monde et notre façon d’y faire notre vie? C’est l’éternel débat. L’accès à la vie de nos contemporains via leur « média personnel » modifie-t-il le lien ? On sait tous que chacun montre ce que l’on veut bien montrer, consciemment ou inconsciemment, que la vie des autres sur Facebook ne reflète pas la réalité. Certains expriment leurs malheurs ou leurs difficultés et cela provoque le rejet comme l’explique le psychanalyste Michaël Stora : « Facebook est dans un espace où il faut plutôt aller bien, on n’a pas le droit de montrer la défaillance. On est pris dans une sorte de tyrannie invisible ».

Alors, comme les enfants qui commencent à mentir quand ils comprennent que tout dire ne les sert pas, l’internaute invente un double. Un double de lui-même, plus libre, plus libéré, plus fou, plus joyeux, plus intelligent. Il met son quotidien en scène, il écrit que la vie est tellement belle même quand, surtout quand, il vit l’exact contraire ; il publie le cliché d’une plage paradisiaque alors que l’on est au fond du trou. Du trou IRL, in real life.

En fait, sur internet, on peut donner une autre image de soi, une bonne image de soi et du coup, on a le sentiment vertigineux d’exister. Pour éviter de se retrouver face à soi-même ? Quelles angoisses viennent révéler la multiplication des like, des tweets, des posts ? Quelles fragilités s’expriment ? Notre blessure narcissique ?

L’utilisation des réseaux est devenue compulsive, c’est une obsession, une addiction qui a gagné toutes les générations, un évitement du réel orchestré par Zuckerberg et compagnie, car, notre fameuse blessure narcissique, notre envie « d’être » aux yeux du monde, sert ces entreprises qui ont tout compris. La preuve, par exemple, avec utilisation du neuromarketing. Ce sont des neurosciences cognitives appliquées au marketing et à la communication pour activer les circuits du plaisir lorsque nous consommons, pour provoquer le manque. Les
« likes » sur Facebook, produisent de la dopamine et activent les fameux circuits neurologiques du plaisir dans notre cerveau. Donc, la baisse de ces stimulations entraîne l’effet inverse et pervers du manque. L’utilisateur finit par devenir addict. Et l’affaire est dans le sac !

Si jamais nous avons une petite baisse de régime, une envie de liberté trop poussée, les notifications sont là pour nous rappeler que l’on ne peut pas rater une info, un like, etc… Ouf, on se sent bien mieux, on respire ! On prend ça par voie orale, comme des pilules vitales à notre fonctionnement, comme des antidépresseurs même, n’ayons pas peur des mots, mais, si on réfléchit bien, qui n’a jamais remarqué que les journées passées sans les réseaux sociaux sont en général beaucoup plus agréables ?

Dans le cas d’une rupture amoureuse, amicale ou professionnelle, on supprime l’autre pour l’oublier, mais on peut garder un œil sur son profil quand même, voir s’il ne nous a pas envoyé un message plus ou moins codé. Qui n’a jamais été voir le compte de son ex, juste pour voir? Nos interprétations nous jouent des tours et nous gâchent nos soirées.

Alors, tout n’est pas forcément négatif ou mauvais dans les réseaux sociaux, c’est aussi une source d’informations (à trier), un lieu où l’on peut échanger vraiment et retrouver des amis, des vrais, et un peu d’estime de soi, si l’on ne triche pas en permanence avec la réalité. C’est très positif, mais attention, plus ou moins consciemment et sans donner de leçon, sur les réseaux, on like, on poste dans le but d’être liké en retour.

On donne de l’attention pour en recevoir, c’est comme un placement. On investit. Cœur de pierre. Cela va parfois tellement loin, que certains délaissent enfants et mari ou femme pour passer leur temps sur leur téléphone. Le désir de contacts ou de rencontres disparaît. Que peut-on dire d’une société où les individus ont moins besoin de faire l’effort d’aller vers les autres pour exister ? Ou pour croire que l’on existe ?

Alors, où placer le curseur pour se protéger soi-même et éviter le phénomène de l’intoxication numérique, et ce monde factice insupportable ? C’est à chacun de trouver sa place entre la vraie vie et celle des réseaux, mais pour réduire le temps passé sur la toile, la nouvelle application « temps d’écran » qui est apparue sur les smartphones est formidable.

Faites l’expérience, il est très surprenant de constater que le nombre d’heures que l’on passe sur les réseaux sociaux est loin de l’estimation que l’on pouvait faire spontanément. Cela peut permettre de réduire notre participation au développement exponentiel de multinationales devenues plus puissantes que des États et provoquer une envie irrésistible de rencontrer du monde.