Tout et son contraire

Comme un lundi de confiné, lundi 2 novembre 2020

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1962
©Eric Genetet

Ceux qui, bien au chaud derrière leur clavier, donnent leur avis sur les réseaux en imaginant détenir la grande vérité, ceux qui sont persuadés d’avoir raison, cent fois raison, « attends, tu es qui toi pour me parler comme ça ? », ceux-là oublient que l’altérité, le respect de la parole de l’autre, est un élément essentiel, la base des rapports humains. C’est aussi une valeur qui coule comme un Titanic et ils sont peu nombreux ceux qui jouent de la musique sur le pont. Il faut dire que c’est pratique d’avoir raison, cela permet de ne pas trop réfléchir, de ne pas envisager de se tromper, de ne pas vraiment argumenter, de bien s’arranger avec ses petites lâchetés ; on balance un truc, ceux qui ne sont pas d’accord sont des cons, fermer le ban ! Et pendant ce temps, les adeptes de l’altérité se font des nœuds dans la tête.

Du coup, à force d’écouter tout le monde, de penser que la parole de l’autre a autant de valeur que la leur (on ne parle pas ici de la parole de lâches criminels), ils ne savent plus quoi penser, sur quel pied danser quand le bateau coule. Confinement ou pas ? La santé ou l’économie, la bourse ou la vie ? Car, dans ce Far West qu’est devenue notre vie, ça tire dans tous les sens, on entend tout et son contraire à chaque instant, selon les spécialistes, les jours, les heures, la chaîne de télé que l’on regarde. C’est le bordel, la panique, le raout. Les uns nous expliquent que c’est une situation de guerre quand d’autres affirment que ce n’est pas grand-chose finalement ce virus qui fait 30 000 victimes, car chaque année, 150 000 Français meurent de cancer, sans parler des infarctus, des AVC. Et l’on ne donne pas les chiffres chaque soir au 20h.

Alors, vivons-nous un deuxième confinement pour rien ? Pire ? La courbe des suicides monte, les autres maladies sont prises en charge trop tard, les dommages collatéraux d’ordre sanitaire, social, économique, systémique sont bien trop importants, nous balancent les pros du pot. Faut-il rouvrir les bistrots ? Faut-il laisser les médecins prescrire l’hydroxychloroquine ou le zythromax, faut-il masquer les personnes à risques avec des FFP2 ? Les moyens de l’hôpital, les lits et le nombre d’infirmiers et d’aide-soignants formés sont-ils suffisants, vont-ils réellement augmenter et, si c’est non, qui est responsable de cette insuffisance ? Combien de temps va durer ce deuxième confinement ? Le troisième ? Qui croire ? Un vaccin est-il envisageable ? Vaut mieux prévenir que guérir ? Existe-t-il deux France, celle qui a été touchée par cette saloperie qui tue et qui handicape ceux qui ont eu le malheur d’être contaminés (évidemment, c’est de leur faute ?) et l’autre France, celle qui n’a pas été frappée et qui n’imagine pas le cauchemar des patients et des soignants ? Connaît-on les traces, toutes les séquelles que laisse ce virus sur nos organes ? Le vieillissement du cerveau, la perte du goût et de l’odorat, quoi d’autre ? Que disent réellement les chiffres ? Existe-t-il des conflits d’intérêts ? Le dernier qui a parlé est-il celui qui a raison ? Qu’est-ce qui est juste ? Qui peut répondre à ces questions en ayant la certitude de ne pas se tromper ? Et si l’on considère que ceux qui s’expriment (pour la compétence, c’est autre chose) sont de bonne foi, qui croire ?

Je ne suis pas médecin, pas économiste, pas président, spécialiste de rien à part de mes goûts et de mes choix persos, je défends les artistes, j’écris des romans et je me sens si bien dans une librairie, j’oublie pour quelque temps mes plaisirs de cinéma, de théâtre, de resto, de café pour écrire et observer la vie de bon matin, les soirées entre amis ou en famille, l’air frais de la montagne, les réunions entre collègues, l’idée même des cadeaux de Noël. Comme tout le monde, je n’ai plus d’amis en vrai, comme tout le monde j’ai pris 2,5 kilos (4 en réalité) pendant le premier confinement et j’ai l’intention de faire gaffe lors du deuxième. Bon soldat, je respecte les consignes du confinement acte 2, je porte un masque, je sors avec mes attestations, j’ai reporté ma commande de solidarité et de livres de bricolage sur Amazon de deux mois, j’évite de serrer dans mes bras les gens que j’aime, je ne fais plus la bise à personne depuis plus de six mois, je me lave les mains plus que raison.

Un jour je me dis que c’est bien, que c’est important de respecter tout ça, que le gouvernement a raison, que je suis solidaire d’une très bonne cause, le lendemain je me demande si l’on ne serait pas en train de se foutre de moi. J’ai le cerveau embrouillé par toutes ces infos ou intox. Je repense au premier confinement. On applaudissait à 20 heures, les rues étaient vides, on entendait les oiseaux, la planète était moins intoxiquée par les moteurs et les machines, et au bout de huit semaines, nous avons été libérés, on nous a dit bravo, que l’on avait sauvé des vies, encore bravo, 60 000, je me souviens du chiffre. J’étais fier et ému. Je n’ai pas assez pensé à ceux qui avaient tout perdu, à ceux qui avaient vraiment morflé, à ceux qui étaient obligés de tout reconstruire. Étaient-ils bien plus nombreux encore que les victimes de cette salope de Covid ?

Et après ? Deuxième vague ? Il faut apprendre à vivre avec le virus, il est encore là, le message passait partout, comme les bagnoles sur les autoroutes des vacances, mais qui l’entendait encore ? C’était bien, c’était chouette, ce soleil sur la peau. L’autre jour devant plus de 30 millions de Français, le président Macron a parlé de 400 000 morts si nous ne faisons rien, NOUS qui sommes responsables, et le deuxième confinement a commencé. J’entends tout et son contraire, je ne sais plus si nous sommes sur le même bateau, à la dérive, je n’entends pas de musique sur les ponts. Je suis chez moi, le bruit d’un marteau piqueur qui ne va pas tarder à me rendre fou à remplacer le chant des oiseaux, les voisins gueulent dans l’escalier, j’ai juste ce qu’il me faut de PQ et de riz, mon imprimante est en panne, il y a des gens masqués dans la rue, une voiture passe sous mes fenêtres toutes les cinq secondes. À 20 heures je reprendrais des nouilles. Le printemps est bien loin. Le printemps est tout près.