Ludovic Kientz, heureux gourmet

Son fils ne marche pas encore dans les pas de son père, il ne marche pas encore d’ailleurs, mais le temps de publier cet article et l’enfant de l’ancien chef du Crocodile sera debout sur la belle moquette du restaurant de ses étoilés de parents, Ludovic Kientz et Sandie Ling. C’est un enfant du confinement qui est resté très sage pendant l’entretien avec son papa pendant que maman s’occupait des extérieurs. L’hôtel-restaurant Au Gourmet à Drusenheim était prêt à rouvrir ses portes, avec une nouvelle plaque fixée à côté de la porte.

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Après 7 mois de fermeture, dans quel état d’esprit êtes-vous ?

Tout est arrivé très vite. À partir du 3 novembre 2018, nous avons travaillé pendant un peu plus d’un an et nous avons fermé lors du premier confinement. Nous avons refait toutes les chambres de l’hôtel, et depuis sept mois nous avons fait beaucoup de travaux sur ce qui ne se voyait pas forcément. Finalement, le 9 juin, c’était une réouverture.

Financièrement, où en êtes- vous ?

En 2020 nous avons perdu 60% du chiffre d’affaires de 2019. C’est énorme. Aujourd’hui, on ne s’y retrouve pas, nous sommes en déficit monstre. Les aides ne suffisent pas. On tient grâce au prêt garanti par l’État. C’est problématique, car quand je regarde mon bilan 2019, je ne vois pas comment je vais faire pour rembourser 3500 euros par mois de PGE, en plus des charges fixes. Donc c’est compliqué, même si, sur les deux premiers mois de 2020, nous avions fait 25% de chiffre d’affaires en plus.

Combien avez-vous investi ?

Entre l’achat et les travaux d’ouverture, nous avons des prêts sur 25 ans, ça va vite… On cherchait un hôtel-restaurant avec une dizaine de chambres dans un rayon d’une trentaine de kilomètres autour de Strasbourg, un lieu où l’on pouvait vivre sur place et c’est le cas ici à Drusenheim. C’est un bon million d’euros d’investissement pour ce premier projet avec ma femme.

Et depuis, vous en avez « fait » un autre…

Oui. Ma femme était enceinte lors du premier confinement… Il a fallu vider le frigo, nous avons bien mangé, on n’avait pas le choix, mais nous avons beaucoup perdu, car je ne donne pas de marchandises congelées à mes clients. Notre enfant est arrivé l’année dernière le jour du dimanche de Pâques. Quelque part, dans notre malheur, avec ces fermetures et ces confinements, nous avons eu plus de temps pour lui.

Au Crocodile, vous avez gravi tous les échelons. En cinq ans vous êtes passé d’apprenti à chef, puis vous avez obtenu votre première étoile. Vous avez été très marquée par la personnalité, le talent et l’expérience d’Émile Jung.

Oui, c’est avec lui que j’ai appris le plus de choses. J’aimais quand nous partions pour des opérations extérieures, à Paris, au Luxembourg, en Suisse ou en Allemagne. Nous avons même été jusqu’en Islande. C’était merveilleux. Après la prestation, on prenait du temps sur place, on se baladait. C’était un passionné d’orgue, alors on allait visiter les églises et dans la voiture on écoutait cette musique- là. J’ai beaucoup appris de lui, et cela me sert encore aujourd’hui, c’est un fond de jeu comme on dit au football. Les bases. Une grosse partie de mes sauces sont issues de ses bases de fond. Quand Madame Jung est venue manger ici, elle m’a dit que ça lui faisait penser au « Patron ».

Alors rien d’étonnant finalement si, en si peu de temps, Au Gourmet a obtenu une première étoile. C’est un autre rayon de soleil dans cette drôle d’année ?

Oui. Nous aurons plus de visibilité. Il y aura des retombées, c’est clair. L’étoile est un travail d’équipe. Nous sommes huit et, de l’apprenti au pâtissier, tout le monde est important. Pendant la fermeture nous avons gardé le contact et nous avons rouvert avec la même équipe qu’il y a 7 mois.


Un mot sur la carte !

Nous proposons quatre ou cinq entrées, des poissons et des viandes. Les deux menus principaux viennent de la carte. À midi, nous proposons le menu du fin gourmet, il est différent chaque semaine. Tous les mois, la carte est renouvelée en partie. Je travaille qu’avec des produits de saison d’une fraîcheur absolue, et majoritairement en circuit court, avec un maraîcher à Hoerdt notamment. Pareil pour le poisson, j’essaye de m’approvisionner avec les Sources du Heimbach à Wingen, j’ai aussi des produits de la mer qui arrivent en direct, et en fonction des saisons, des viandes françaises, des produits locaux. De temps en temps, on s’autorise un peu d’exotisme, on va chercher par exemple un bœuf Black Angus des États- Unis, cela permet de voyager un peu. Après, nous avons des épices qui viennent de partout et des variétés de poivre exceptionnelles en fonction des plats que l’on travaille.

C’est quoi votre rêve le plus fou ? Atteindre les 3 étoiles ?

Je ne dis pas que c’est impossible, mais c’est très compliqué. Aujourd’hui en France, quel chef indépendant réussit à obtenir trois étoiles ? Il faut vivre avec son temps, ma priorité est que l’affaire marche et que l’on puisse continuer à investir, à faire grandir la maison, à donner un bel outil de travail aux salariés, à aller de l’avant, à travailler les techniques. Tout cela se construit au fil des années.