Le temps du dialogue – Frédéric de Blay « les allergiques sont les sentinelles de l’environnement »

30 % de la population est cliniquement allergique, le chiffre qui augmente depuis plusieurs décennies passera à 50% en 2050. Les allergies sont toujours plus précoces, plus sévères, plus durables. L’asthme et les rhinites allergiques coûtent 3 milliards d’euros chaque année en France. Le temps du dialogue avec Frédéric de Blay, Professeur aux Universités de Strasbourg, Président de la fédération française d’allergologie, il est l’un des grands spécialistes de l’allergie dans le monde. Maxi Flash lui a rendu visite dans son laboratoire au nouvel hôpital civil de Strasbourg pour Le temps du dialogue.

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Eric Genetet : Quel est le lien entre les allergies et l’environnement ?

Frédéric de Blay : Un lien évident. Cela fait de nombreuses années que je répète que les allergiques sont les sentinelles de l’environnement, ce sont eux qui sont touchés en premier par les problèmes environnementaux. Il faut que l’on se mobilise. Il faut que l’on se rende compte que l’allergie est véritablement un sujet de société.

EG : Quelles sont les causes des maladies allergiques ?

FdB : Ce sont les allergènes, comme le nom l’indique. Celui qui est le plus fréquemment en cause dans la rhinite et dans l’asthme viennent des acariens, ces petites bêtes qui font moins d’un millimètre et que l’on trouve dans nos maisons, dans les matelas, dans les moquettes. Vous avez aussi les animaux comme le chat, le pollen de bouleau qui est le premier allergène, il entraîne de la rhinite, mais aussi de l’asthme. Et vous avez les allergènes alimentaires, chez l’enfant, c’est le lait ou l’arachide, le poisson, l’œuf. N’oublions pas le tabac et la génétique des patients.

EG : Quel est l’impact du réchauffement climatique sur notre santé ?

FdB : C’est très difficile à dire, mais il y aura probablement un impact. Si vous lisez n’importe quel journal ou même des journaux d’allergologie, on va vous dire « voilà il y a une augmentation de la température, donc il y aura plus de pollen, donc les saisons seront être plus longues », mais ce n’est pas sûr du tout. Par exemple à Strasbourg, cela fait 20 ans qu’il n’y a pas eu d’augmentation de la quantité des grains de pollen, que ce soit pour les pollens de bouleau ou les pollens de graminées, rien à changer. À Nantes, on observe une augmentation de la saison. Finalement, en fonction du lieu, la réponse ne sera pas la même. Et puis, on peut très bien imaginer qu’en cas de réchauffement climatique on sera moins exposés aux pollens de bouleaux, peut-être que la charge liée à la maladie ne sera pas plus importante.

EG : Alors, faut-il être optimiste ?

FdB : On peut se dire qu’il va faire plus chaud, plus humide, qu’il y aura plus de moisissures, peut-être plus d’expositions aux acariens, mais c’est pour l’instant très difficile à appréhender. Selon que vous soyez optimiste ou pessimiste, vous allez annoncer l’apocalypse ou dire que l’on ne sait pas, qu’il faut attendre un peu… et puis il y a un élément à prendre en compte, ce sont nos habitudes. Il y a 40 ans, les Alsaciens n’étaient pas allergiques aux kiwis ce qui est beaucoup le cas maintenant. Véritablement, l’allergologie suit les modes de vie de la société, il est très difficile de prévoir ce qui se passera dans quelques années, mais ce qui est clair c’est que la « saison pollinique » s’allonge.

EG : On dit que l’allergie est une maladie à double facette ?

FdB : L’allergie est une maladie individuelle. C’est aussi une maladie environnementale puisque ce ne sont pas nos gènes qui ont changé et qui ont fait que les maladies allergiques ont augmenté, mais notre environnement. Vous ne pouvez pas être allergique aux acariens s’il n’y a pas d’acariens, vous ne pouvez pas être allergique aux chats s’il n’y a pas de chats ! Si vous faites de l’asthme, les polluants chimiques vont vous gêner seulement s’ils sont présents. Véritablement, nous avons ces deux aspects de la maladie allergique, maladie individuelle et maladie environnementale. Et les patients allergiques sont ceux qui souffrent le plus de l’environnement.

EG : Quel est le lien entre l’habitat et les allergies ?

FdB : L’habitat est une espèce de biotope. Les citadins passent 90 % de leur temps à l’intérieur, et je vous ai parlé des acariens qui vivent dans les maisons ; si un enfant qui est allergique aux acariens respire en même temps des produits chimiques, il y aura un effet d’aggravation des symptômes. Si vous respirez en même temps des composés organiques volatils et des acariens, vous allez augmenter votre réactivité bronchique. Si chez vous il y a des moisissures, des bougies parfumées, des huiles essentielles, là aussi cela va aggraver vos symptômes.

EG : Vous venez de parler de composés organiques volatils, c’est quoi exactement?

FdB : Ce sont des substances chimiques, vous en trouvez par exemple dans les meubles en aggloméré, ils peuvent libérer du formaldéhyde qui aggrave les symptômes d’asthme. Vous avez aussi tous ces produits qui permettent, entre guillemets, d’améliorer les odeurs, ils ont eux aussi une action nocive sur les bronches. Il y a aussi ce que l’on appelle les ammoniums quaternaires, qui sont des désinfectants que l’on utilise à l’hôpital et que vous trouvez maintenant dans les grandes surfaces, au rayon des produits pour nettoyer vos toilettes, vos douches, ces produits entraînent aussi de l’asthme.

EG : La prévention de la maladie est
efficace ?

FdB : C’est un sujet qui m’occupe depuis pas mal d’années. Comment améliorer l’environnement des patients asthmatiques ? Vous êtes asthmatique, vous êtes allergique aux acariens, si l’on diminue l’exposition aux acariens est-ce que ça va diminuer votre maladie ? Maintenant, nous en sommes tout à fait certains, quand on diminue les acariens, les patients et notamment les enfants ont moins d’asthme et ils sont moins hospitalisés. Grâce à la prévention, nous arrivons à réduire les coûts de ces maladies.

EG : En matière d’allergie, sur les 20 dernières années de nombreux progrès ont été faits ?

FdB : Oui. En ce qui concerne la désensibilisation. Avant, on faisait des piqûres, maintenant on prend de petits comprimés. On a fait des progrès sur les allergies alimentaires, là aussi on peut désensibiliser, et puis, c’est une fierté alsacienne, nous avons mis en place une chambre d’exposition aux allergènes (il en existe cinq ou six seulement dans le monde) qui permet de tester les nouveaux médicaments. La nôtre est un petit peu particulière, car nous avons tout standardisé, nous pouvons tout contrôler, et cela nous permet de développer les médicaments plus vite. Lorsque l’on sait que 30 % de la population est cliniquement allergique et que ce chiffre passera à 50 % en 2050, c’est une marée énorme qui vient vers nous, des millions de personnes qui sont susceptibles d’aller voir un allergologue un jour ou l’autre.

EG : Le nombre d’allergologues est-il suffisant ?

FdB : Non, car beaucoup vont prendre leur retraite d’ici 10 ans, et le nombre d’allergiques va augmenter comme nous l’avons déjà évoqué. À Strasbourg, la plus grosse unité d’allergologie en France, nos patients doivent attendre neuf mois pour un rendez-vous lorsqu’ils ont un problème. Il faudrait créer très vite des centres experts en allergie. En France, quand vous avez une rhinite allergique, pour avoir accès à un allergologue c’est très long, et pourtant notre pays est l’un des mieux dotés en matière d’allergie.

EG : Quel est le pourcentage d’allergiques qui s’ignorent ?

FdB : Il y en a énormément. Pour cette raison, nous avons lancé une grande campagne « Allergie, Environnement, mobilisons-nous ».