La photo observe le paysage

Un peu partout en France, il passe une grande partie de son temps à photographier à l’identique les mêmes points de vue. Dans les Vosges, Thierry Girard se rend, à intervalles plus ou moins réguliers en fonction des sujets et temporalités appropriées, sur l’un des 200 lieux choisis pour cette «oeuvre» de longue haleine, car c’est seulement au bout de 20 ans que certains clichés livrent les évolutions marquées du paysage. Ce travail permet d’imaginer l’aménagement du territoire pour les générations futures.

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C’est l’ensemble des expressions du paysage qui véhiculent l’image d’un territoire et qui contribuent à son attractivité.

C’est dans le paysage et sa représentation que se trouvent les singularités géographiques et culturelles. Si le terme renvoie naturellement vers le « beau » et les lieux emblématiques, il raconte également ceux que l’on voit tellement qu’ils en deviennent « ordinaires ».

En 1989 le Conseil des ministres énonce les principes de l’Observatoire Photographique National du Paysage ; il s’agit de constituer un fonds de séries photographiques qui permet d’analyser les mécanismes et les facteurs de transformations des espaces, ainsi que les rôles des différents acteurs qui en sont la cause, de façon à orienter favorablement l’évolution du paysage. 20 itinéraires photographiques sont alors établis en France, comme sur le territoire des Vosges depuis 1997.


 

5 questions à Romy Baghdadi,

chargée de mission Paysage & Transitions.

Pourquoi les observatoires produisent des archives importantes ?

Ils fabriquent une mémoire collective. Faire le choix d’une archive photographique pour échanger, débattre et imaginer ensemble une culture commune semble essentiel pour se positionner quant aux défis sociétaux à venir. Le paysage n’est que l’expression de nos sociétés, de notre manière d’occuper la surface terrestre et de nous organiser. Quels paysages souhaitons-nous léguer ? Les Observatoires Photographiques du Paysage sont un outil précieux, ils abordent l’aspect sensible et qualitatif d’un paysage et nous permettent de nous questionner sur notre rapport au monde et à l’avenir.

Avant les Observatoires Photographiques, on n’avait aucune idée de la façon dont les paysages évoluaient ?

Si bien sûr, on peut appréhender l’évolution des paysages par une multitude de biais : les données cartographiques, les photographies aériennes, les inventaires divers, les relevés de terrains (sol, pollen, etc.), les témoignages, les descriptions littéraires, les cartes postales, etc. Mais ces outils requièrent un niveau de connaissances et de formation, il faut analyser la matière pour en tirer des conclusions. L’arrivée de la photographie met à disposition du plus grand nombre la lecture des changements.

Il s’agit de paysages que tout le monde voit, mais que personne ne voit vraiment ?

Effectivement, c’est ce qu’on appelle dans le jargon le « paysage du quotidien », ce sont les lieux où l’on vit, que l’on traverse lors de nos déplacements journaliers : la rue, la cour d’école, le parking du supermarché. Ce ne sont pas les clichés des cartes postales.

Ils ne sont pas forcément beaux ?

Chacun voit le monde avec son filtre personnel et culturel, mais il est vrai que les choix des points de vue peuvent surprendre. C’est une des questions que se permet de poser l’Observatoire du Paysage. L’objectif est justement d’attirer l’œil sur ces paysages qu’on ne regarde pas, mais qui peuvent subir des transformations rapides et irréversibles du fait d’orientations d’aménagements publiques ou d’actions individuelles. C’est la somme de l’ensemble de ces choix qui est visible dans ces séries d’images. La photographie nous met à distance du lieu et nous oblige à prendre le recul nécessaire pour qualifier les changements du paysage et en débattre collectivement. (https://www.parc-vosges-nord.fr/externe/OPP/)

Que faites-vous de toute cette matière ? Quel est l’enjeu ?

Au parc, plusieurs valorisations animent ou ont animé l’Observatoire photographique : une expo itinérante sur le territoire des Vosges du Nord a circulé pendant 5 ans à partir de 2010. Actuellement, l’exposition au CAUE (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement) à Strasbourg, en place jusqu’au 14 février, permet de partager les évolutions avec le public ou les habitants. L’enjeu est de sensibiliser à la question, de passer le message que le paysage est un bien commun.   


 

Le Parc régional des Vosges du Nord en chiffres

Imaginé en1975, il se situe à cheval entre les départements de la Moselle et du Bas-Rhin, sur une superficie de 1276 km². 127 600 hectares, 83 000 hectares forestiers, 2200 hectares de vergers, 600 hectares de sites naturels, il couvre 111 communes et 90 000 habitants. Le parc possède des espaces touristiques comme le Grand Wintersberg, 35 châteaux forts, 2 châteaux de la Renaissance, 26 musées et 113 monuments historiques.


 

Paysage Temps

Publié aux Éditions Loco et coédité avec le Parc naturel régional des Vosges du Nord, ce livre fait la synthèse de 20 ans d’observation photographique. Le travail artistique de Thierry Girard est une véritable invitation à la découverte du territoire, et l’occasion d’une réflexion collective sur les enjeux actuels et futurs de l’Observatoire comme outil de compréhension, d’analyse et de prospective pour mieux maîtriser l’évolution de nos paysages, liée à celle de nos modes de vie.