La folle histoire du Royal Palace Une institution en Alsace du Nord.

À deux ans du 40e anniversaire de son Royal Palace, Pierre Meyer a bien du mal à mesurer l’ampleur de son succès, du phénomène. Dans ses rêves les plus fous, il n’avait pas imaginé que son « dancing » allait faire partie du cercle fermé des plus grandes revues françaises, et pourtant, le Royal Palace joue dans la même cour que le Moulin Rouge et le Lido.

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14 millions d’euros de chiffre d’affaires par an, un nombre de visiteurs qui ne baisse jamais. En décembre, plus de 50 000 personnes ont assisté à Mystéria, comme Maxi Flash, en ce jour de février 2019. Mais, juste avant le show, le patron aux cravates pétulantes, nous a invités à sa table. 

Pierre Meyer, 66 ans, est né dans la musique. Son premier métier était cuisinier. La réunion des deux a allumé sa réussite comme on illumine une scène de spectacle. Pierre Meyer raconte l’histoire, sa grande histoire, ce qu’il a déjà fait mille fois. Le rideau se lève. Il a du mal à se souvenir du petit dancing que tenaient ses parents à partir de 1948, depuis, des paillettes sont passées sous les ponts. Il a développé, rallongé, augmenté, multiplié comme des petits pains cette petite « boîte à danser familiale », sans jamais se prendre pour Dieu. Quelques rendez-vous réussis avec le destin, des intuitions miraculeuses, du travail, beaucoup de travail et le voilà, presque 40 ans plus tard, au même endroit, mais entouré de ses 130 salariés.

PDG à 28 ans

Il dit : « Aujourd’hui, on travaille deux fois ». On travaille ! La vie de Pierre Meyer, parti de rien ou presque, se résume en un seul mot, le travail. Le PDG est arrivé au sommet, sans jamais quitter Kirrwiller, un petit village du nord de l’Alsace si petit qu’à chaque coin de rue, chaque semaine du jeudi au dimanche, on entend les sons du spectacle derrière les murs. On n’entend que cela, et les oiseaux.

Alors, au commencement, il y a ce dancing que tiennent ses parents (son père était instituteur). Après avoir appris le métier de cuisinier, c’est là qu’il démarre. Il propose des dîners dansants puis reprend l’affaire, il devient PDG à 28 ans. Dans les soirées, il ajoute rapidement un spectacle, puis deux. Il les achète clefs en main ; au début, c’est du folklore alsacien, puis des soirées bavaroises ou espagnoles, tout ce qu’il peut trouver. Un agent artistique parisien lui vend des revues de 5 ou 6 personnes. Et les gens suivent. Depuis, la valse des réservations ne s’est jamais arrêtée. 

L’effet médiatique

Dans les années 80, il est le premier à faire ça en dehors de Paris, et c’est ce qui va intéresser la presse nationale. Une page entière dans Libération pour ce « fameux Music-hall qui tourne depuis dix ans dans un petit village », tout le monde suit, TF1 et compagnie : « On a fait 3 fois 7 à 8 sur la une, ou Mireille Dumas, M6 est venue tourner pendant deux mois pour une émission qui commencera bientôt, il ne se passe pas un mois sans un article quelque part », dit le patron qui depuis le premier jour travaille avec les autocaristes : « À l’époque, ils se développaient beaucoup, ils achetaient chaque année deux ou trois nouveaux bus. Le village est paumé, il fallait faire quelque chose pour faire venir les gens »

C’est la bonne idée, mais le grand virage a lieu en 1989. À ce moment-là, tout se passait dans une seule salle, le repas avec l’orchestre et le spectacle qui suivait. Pour le confort des spectateurs, Pierre Meyer sépare les deux et fait construire une salle de spectacle de 1000 places, avec toute la machinerie pour accrocher des décors, une scène plus grande pour laquelle il faut « mécaniquement » engager plus d’artistes, des plateaux hydrauliques et plus tard des écrans géants. On le prend pour un fou, son père le premier. Pour rentabiliser l’affaire, et l’investissement, il faut remplir la salle pendant six mois. Il faut du monde, beaucoup de monde, mais le boss est sûr de son coup. Il sait que ses spectacles vont plaire et attirer la France qui voyage, même l’Allemagne et la Suisse. Bingo. Il double la clientèle en un an. « Au début, c’est moi qui invitais les banquiers, maintenant c’est eux qui m’invitent », s’amuse-t-il, et c’est bien normal, car quand on vient en Alsace, dans le programme, il y a très souvent un détour par un petit village d’à peine 500 âmes. 200 000 spectateurs au total verront le spectacle cette saison.        

Le sens des affaires

Pour réussir à ce niveau, il faut un fantastique sens des affaires, mais Pierre Meyer a toujours respecté des règles qu’il s’est fixées lui-même : « On a toujours investi dans la qualité de l’outil de travail, mais aussi du spectacle ». Il y a huit ans, il est le premier à se payer un mur de LED pour le fond de scène, pour y projeter des images de grande qualité. Aujourd’hui il y a 25 mètres d’écran, 7 de hauteur, un investissement d’un million deux cent mille euros qui permet d’imaginer des spectacles très modernes et interactifs avec la quarantaine d’artistes du music-hall qu’il engage chaque saison. 

Pierre Meyer a l’œil malicieux et la gentillesse gravée sur le visage. Il a l’air si calme au milieu de son royaume. Le calme dans les tempêtes, car on les imagine volontiers les moments difficiles, forcément, il y en a dans toutes les vies, et encore plus dans les vies de folie, les vies qui n’arrêtent jamais. Il se souvient de ces instants qui arrivent quand on ne s’y attend pas et qui donnent envie de tout lâcher. Après une émission de Mireille Dumas enregistrée chez lui, des hommes cagoulés et armés pénètrent dans sa maison, une heure quarante de violence. Un vrai traumatisme. Il y a aussi quelques histoires avec l’administration et « des envies de foutre le camp », dit-il, mais finalement, les feux de la rampe sont plus beaux que tout, et, 4 jours par semaine, les lumières se rallument, indéfiniment, depuis presque quatre décennies. 

Une famille nombreuse

Il est midi, en coulisse, les artistes se préparent ; quand le patron vient les embrasser, on sent la proximité, mais aussi le respect. Il est un peu le papa d’une grande famille. Tout le monde vit ici, nourri et logé. Pour Pierre Meyer, les relations avec les artistes sont essentielles, une raison d’être. Et cette ferveur, les artistes lui rendent bien, ils souhaitent rester, comme Audrey, la plus ancienne, fidèle depuis 20 ans : «Chaque année, tout le monde repasse le casting pour la saison suivante, c’est la règle. C’est le moment le plus désagréable. Au mois de mars, c’est le grand casting. Nous sommes une équipe, nous décidons ensemble, j’ai parfois des préférences, mais je n’impose rien», explique Pierre Meyer. 

Quant aux shows, les numéros d’attractions, il va les chercher partout dans le monde. Il signe des contrats, deux ans à l’avance pour engager les meilleurs: « Pour moi, les numéros d’attractions sont très importants, comme le magicien Christian Farla qui fait apparaître une Ferrari, un hélicoptère. En général, dans une revue, vous avez deux numéros de ce genre, chez nous, il y en a sept. C’est ce qui coûte le plus cher, mais les gens en parlent ». 

La rage d’entreprendre

Pendant qu’il raconte cette folle aventure, mille personnes déjeunent, avant le spectacle prévu pour 14h30. Au menu, suprême de volaille avec son jus de truffes. Des volailles élevées en Alsace, c’est important pour lui ; il sait d’où elles viennent, combien de temps elles ont vécu en plein air. Un suprême de fête. Chaque année, il travaille avec son chef pour les menus de la saison suivante. D’ailleurs, ce jour-là, nous goûtons le foie gras nappé d’une gelée aux framboises qui sera servi à partir du mois de septembre. Une autre aventure, une autre folie qu’il faut déjà imaginer dans les moindres détails, comme depuis toujours. 

A-t-il déjà eu peur que tout s’arrête ? Il répond : « Parfois. Mais j’étais sûr de moi. Je sais qu’il faut bosser. Je ne suis jamais parti plus d’une semaine en vacances. C’est vraiment la rage d’entreprendre. Je crois qu’il faut être fou pour faire tourner cette machine. Il faut être impliqué 24h/24, observer, donner et partager, mais c’est le secret de la réussite. Quand les gens sortent d’ici, il faut qu’ils aient envie de revenir. » 

Pierre Meyer a gagné son pari, une fois encore, le rideau s’ouvre.