« J’étais un ouvrier du football »

Jérémie Rodrigues a été footballeur professionnel, en Ligue 2 à Gueugnon, à Chypre, ou en Bulgarie, à Plovdiv, récent adversaire du Racing… Il raconte sa transition d’une prison dorée vers, comme il le dit, « la vraie vie ».

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L’image et le rêve du footballeur pro qui flambe et qui gagne des millions, c’est bon pour quelques-uns. Mais ils ont nombreux à passer sous les radars ou à traverser leur carrière dans un relatif anonymat. Jérémie Rodrigues en a fait partie et ne s’en cache pas.

« J’étais un besogneux, et je suis fier de mes 12 ans de carrière », note celui qui était arrière droit, né à Schiltigheim, formé à Sochaux. « À l’époque, on me dit que ça ne passera pas… Stéphane Paille me fait venir à Besançon, en National, et je cartonne pendant six mois. Sochaux me recontacte, et là c’est un déclic. Je me dis que j’arrive à faire changer d’avis des gens du milieu. Je reste à Besançon, on fait champion, on monte en Ligue 2. J’ai encore le DVD à la maison, je le regarde de temps en temps, c’était une aventure humaine extraordinaire. »

À Gueugnon, il va apprendre la rigueur avec Victor Zvunka, un coach pas commode : « En deux ans, il ne m’a jamais appelé par mon prénom ! (rires) » Après une expérience mitigée à Boulogne-sur-Mer, direction Chypre (Limassol, puis Famagouste), avant la Bulgarie et le Lokomotiv Plovdiv, qu’il rejoint par l’intermédiaire d’un agent serbe croisé autour d’une piscine qui avait vu l’une de ses vidéos. Un monde à part.

« On est dans un cocon »

Pendant une carrière de footballeur, on le sait, tout est mis en œuvre pour que les joueurs n’aient d’autre souci que leur métier. « On ne s’en rend pas compte, on est dans un cocon », raconte Jérémie Rodrigues, bientôt 39 ans. « Tu ne fais pas la file pour aller chez le médecin, tu ne te rends pas compte que des gens travaillent dur pour gagner 1200€ par mois… Et les joueurs de très haut niveau, c’est pire encore, ils sont coupés de tout. »

Ce qui est dur, c’est aussi quand votre fin de carrière vous est imposée. C’est ce qui arrive à Jérémie, qui évolue alors à son meilleur niveau, au Lokomotiv Plovdiv, récent adversaire du Racing Club de Strasbourg en tour préliminaire d’Europa League. Il avait rejoint le CSKA Sofia, l’un des plus grands clubs bulgares avec la perspective éventuelle de jouer une compétition européenne. Las, des salaires impayés, une procédure judiciaire toujours en cours… Et une blessure alors que son contrat avec son nouveau club n’est pas encore enregistré…

« Je quitte la Bulgarie en faisant un plateau TV, et la semaine suivante je suis à l’usine en France pour activer ma carte Vitale. J’ai fait des petits boulots, électricien, tout ça, j’ai mangé mon pain noir. » Malgré une carrière pro honorable et quelques petits extras, Rodrigues n’a pas tout flambé, contrairement à d’autres. « J’étais un ouvrier du foot. Il y a plein de gars qui réfléchissent un peu, mais même si t’as réussi à mettre 200.000€ de côté pendant ta carrière, si t’as rien derrière… Ok, c’est un bel apport, mais ça va très vite, et il y en a beaucoup qui finissent ruinés. »

 

Une carrière après l’autre

Jérémie, lui, a eu la chance de croiser les bonnes personnes, et surtout d’avoir cru en lui. « Mon premier entretien d’embauche, je suis arrivé avec des boucles d’oreille en diamant et des lunettes de soleil qui faisaient la taille de ma tête », en rigole encore l’ancien latéral. « Finalement, on a parlé foot pendant deux heures… » Après le cuisiniste Arthur Bonnet, c’est chez TBV Automobiles, à Oberhoffen, qu’il tente l’aventure. « Je retrouve un peu l’esprit de compétition, en essayant de faire mieux chaque semaine… Je suis passé de vendeur à directeur commercial en peu de temps. Je bosse 14 heures par jour, mais pour rien au monde je ne changerais ma vie. » Rien de tel que la vraie vie.»